N°68, Juillet 2004 Résumé français International Molinology Journal
of The International Molinological Society - Auteur : Chris
Gibbins
Les moulins à vent de Malte et de Gozo
A la mémoire de Claude Rivals.
Cet article a été inspiré par des remarques
de Louis Blom dans IM66 au sujet de l’origine des moulins de Sfax,
la communication de Ph. Le Lourd lors du 5ème symposium, une étude
de 1963 sur les moulins de Malte et Gozo par le Prof. J. Galea,
l’absence de documentation sur les extraordinaires engrenages des
moulins maltais et un séjour en avril 1995 pour rencontrer un ancien
meunier.
Brève introduction à Malte : Malte se
vante d’être la plus ancienne civilisation d’Europe et de
Méditerranée avec des temples plus anciens que ceux d’Egypte.
Envahie à maintes reprises, elle a vécu sous domination arabe,
italienne, française et anglaise et a appartenu à l’Ordre des
Chevaliers de St Jean de Jérusalem. Tous ces occupants ont laissé
leur empreinte dans la langue seule en dehors du monde arabe à être
d’origine sémitique. Mithna est le mot pour « moulin à vent »
et, par extension, « moulin ». Miexi est utilisé pour les moulins à
traction animale.
Origines : Le Prof. Galea rapporte
que, d’après le Grand maître Villiers de l’Isle Adam, il y avait
déjà des moulins à vent quand les chevaliers sont arrivés à Malte en
1530. Le Lourd a mis en évidence l’existence de 5 moulins vers 1636-
57 tout en estimant qu’ils avaient été construits avant. L’Ordre
contrôlait la construction et l’exploitation des moulins, vitaux en
cas de siège. C’est pourquoi la plupart étaient situés dans les
villes. Le revenu tiré des moulins permettait de financer la flotte.
Les derniers que l’Ordre créa datent de 1722-36. Le monopole sur les
moulins fut aboli en 1838.
Le moulin et le meunier dans la société
: Le moulin était un lieu de rencontre et de discussion pour la
population, parfois le siège d’une milice. Les habitants appelaient
les Chevaliers Imtiehentar-Rih (moulin à vent) à cause de la croix
blanche sur leur tunique. Le meunier maltais faisait une réduction
au premier client après le rhabillage des meules pour compenser les
pertes de farine dans les interstices de la machinerie. Au moulin de
Ta Hdyn is Saht, le meunier montait en haut du moulin et soufflait
dans sa conque pour prévenir quand la farine était prête. Ce moulin
s’est arrêté en 1930 lorsque les moulins à vapeur et électriques ont
été introduits. Le fils du meunier m’a dit que 42 moulins avaient
été construits par les Chevaliers à Malte et Gozo et les trois
derniers sous le gouvernorat de Sir William Reid en 1857.
Architecture, machinerie et terminologie
: Tous les moulins avaient à peu près le même plan : un bâtiment
carré incluant une tour de 15 m et de 3 m de diamètre. L’entrée
principale ouvrait sur un hall avec d’un côté une pièce pour le
stockage du grain et de l’autre une pour la farine. Au fond du hall,
une porte permettait d’accéder à la tour munie d’un escalier en
spirale de 50 à 52 marches. Les autres pièces du bâtiment servaient
d’habitation au meunier. On voit souvent au dessus de la porte le
blason du Grand maître. La calotte conique (barjol, pirjol, parjan
ou kuppletta) était couverte de bois ou de zinc. A l’extrémité de la
queue, une barre horizontale permettait de stabiliser la calotte
avec des cordes auxquelles étaient attachées des pierres (kuntapiz
ou kantuni) suspendues à quelques centimètres de la terrasse. La
calotte était mise au vent par un système de levier (manwella)
entre un anneau en bois épais avec des dents (stringell) et des
trous dans le mur que l’on équipait de chevilles (pern). La calotte
était surmontée d’une girouette. Juste en dessous du haut de la tour
il y avait une petite fenêtre d’observation (bukkaport).
L’arbre (fus ou arbul) avaient deux
paliers en bois (suffarell). Le rouet (dawwara ou dawwaru) avec 25
alluchons embrayait sur une lanterne (luqqata ou laqqata) à 8
fuseaux cerclée de fer. En haut et en bas il y avait aussi des
cercles de fer dans lesquels passaient de grosses cordes peut-être
pour bloquer le rouet en cas de tempête (?). A ma connaissance, ce
type de lanterne est unique, mis à part à Minorque. Il y avait une
seule paire de meules. La dormante (gebel) était incorporée dans un
sommier en bois (nasba), la courante entourée d’un bandeau de bois (dawr)
empêchant la dispersion de la mouture. Le gros fer passait à travers
de l’œil de la meule jusqu’à l’annille fixée par le dessous. La
rimona : C’était un levier à double fonction fixé au nasba et
permettant d’écarter les meules ou de les serrer pour arrêter le
moulin. Faite de bois, cette pièce était la fierté du meunier ; elle
était sculptée et peut être comparée à la tête de cheval de l’auget
des moulins à vent du Lauragais.
Au moulin Qala à Gozo c’est un bras se
terminant par une main incrustée de pierres colorées. Au moulin Ta
Kola, également à Gozo, c’est une figure grossière avec des yeux
énormes et une gueule ouverte – peut-être un serpent ? Le grain
était versé dans la trémie (delu) puis coulait dans l’auget (mizieb).
La mouture était évacuée par un trou (farinal) pour tomber dans une
goulotte en bois (kavetta) manoeuvrable avec une ficelle permettant
l’évacuation dans un sac à l’étage inférieur. La mouture était
ensuite blutée dans un magnatat-tqeghid, boîte rectangulaire
suspendue qui était secouée au moyen d’une roue. Le fond était un
tamis fait de crin de cheval de plus en plus fin permettant de
séparer les différentes qualités de farine vers quatre canaux.
Parfois un mélange d’orge et de blé était moulu en une farine
grossière à partir de laquelle on faisait un pain complet.
Ailes (Qlugh) : Le moulin maltais
avait un beaupré en prolongement de l’arbre et se terminant par un
cercle métallique auquel six cordes étaient attachées reliant les
extrémités des ailes elles-mêmes maintenues à égale distance par des
cordes (bonnijiet) entre leurs extrémités respectives. Des gréements
plus fins reliaient les ailes au beaupré en cinq autres points
équidistants. 6 forts bouts de bois (antinnoli) mortaisés dans la
tête de l’arbre supportaient les verges (antinni ou dirghajn) de 8 m
de long équipées d’un lattis (planec) recevant les toiles de coton.
Généralités : Les engrenages des
moulins de Gozo sont peints. A Xaghra, la trémie est sculptée d’une
fleur à 15 pétales et d’un oiseau. Simple décoration ?
L’architecture des moulins maltais est très attrayante avec ses
pierres jaunes, ses mécanismes en bois bien ajustés et ses vastes
proportions. Autres types de moulins à vent à Malte : Un guide de
1969 cite les restes d’un moulin octogonal (ou hexagonal ?) à
Xewkija. Il faut aussi mentionner le moulin composite entre Ghasri
et Ghammar (Gozo) décrit dans IM63.
Conclusions : Les moulins à vent de
Malte et ceux de Minorque sont parents tout comme ceux de Sicile,
Tunisie, Aden, Djibouti et des Baléares. Malgré leurs dimensions,
ils sont de technique modeste avec une seule paire de meules. Ils
étaient nombreux et plutôt urbains par opposition à nos moulins de
la campagne en France ou en Grande Bretagne.
Chris Gibbings